- take this sinking boat and point it home -

Gal, c’est sa petite sœur, en quelque sorte. Du moins, c'est ainsi qu'il la perçoit. Sa rencontre, il la doit à Aileen, elle qui avait dans la tête l’idée que tous les deux formeraient un couple, qu'ils étaient destinés à être ensemble. Déjà, les rencontres à l’aveugle, comme ça, ce n’était pas vraiment son truc, à Bran. I'm sure you're gonna like her. Encore aujourd’hui, il ne sait quelle force l’a poussé à se rendre à ce rendez-vous. S’il croyait au destin, il lui aurait sans doute fait porter le chapeau. Parce que cette rencontre fut un moment charnière dans la vie de Bran. Parce qu’il s’est rapidement rendu compte, après seulement quelques minutes de discussion, que ça ne fonctionnerait pas, du moins pas romantiquement. Gal, ce n’était pas la femme de sa vie. Peut-être son âme-sœur amicale, tout au plus, mais il n’y aurait rien qui aille au-delà de ça, c'était clair. Ça semblait être réciproque, ce sentiment, parce qu’il n’y a pas eu d’échange de baiser un peu bizarre, pas de malaise à la fin de la soirée, juste une accolade, un sourire, puis il a tourné les talons. Il l'a revue, quelques jours plus tard, dans un café. Ils ont discuté de tout et de rien. C'était si naturel que Bran trouvait presque ridicule l'idée qu'Aileen ait pu, un jour, les imaginer être en couple. Puis, suite au décès d'Aileen, Gal est devenue sa bouée en quelque sorte. Elle est celle qui l'a épaulé, l'a aidé à garder la tête hors de l'eau et à ne pas sombrer. Parce qu'il aurait été facile de tout plaquer, de confier la garde de Casey à quelqu'un, de vivre en ermite, mais ça aurait été la solution facile. Ça n'aurait pas été le souhait d'Aileen non plus, il le savait. Mais il avait besoin qu'on le lui rappelle de temps à autre, et c'est devenu le boulot de Gal, en quelque sorte. Malgré la distance, elle était toujours là, au bout du fil ou à un texto près. Même après quelques années de séparation, malgré la distance, leur amitié est toujours aussi forte et Bran ne sait toujours pas ce qu'il aurait fait sans elle dans sa vie.


Aileen, elle fut au départ une amie avant toute chose. Pendant des années, elle n’aura été qu’une amie, qu’une bonne amie et rien de plus. Et pourtant, après maintes tentatives, toutes vaines, de sa part pour trouver une femme convenable pour Bran, c’est finalement elle qui aura conquis son cœur. Il n’a jamais été très doué avec les femmes, Bran.  Elles l’ont toujours un peu intimidé. Surtout Aileen, parce qu’elle était fonceuse, elle n’avait peur de rien. C’est elle d’ailleurs qui avait fait les premiers pas vers Bran et qui avait initié cette amitié. Et au fond, peut-être qu’il a toujours su que c’était elle la bonne, mais il lui a fallu un long moment pour le réaliser. Pourtant, lorsqu’il a compris que c’était elle et personne d’autre, que tout ce temps, la femme de sa vie était là, devant ses yeux et qu’il avait été trop stupide pour le réaliser, il s’est montré parfait gentleman envers elle. Après tout, son père lui avait toujours dit qu’il lui fallait traiter les femmes comme des reines. Et puis, même s’il n’était pas très doué pour tout ce qui était de l’approche avec ces demoiselles, Bran restait un homme tout de même assez romantique au fond. Et avec Aileen, il voulait que tout soit parfait. Il voulait prendre son temps, ne pas précipiter les choses au risque de les gâcher. C’est pourquoi il lui aura fallu près de cinq ans avant de finalement faire sa grande demande, de poser un genou au sol et lui demander de passer le reste de ses jours à ses côtés. Et lorsqu’est arrivé le grand jour, lorsqu’il s’est retrouvé devant l’autel à attendre impatiemment de voir celle qui deviendrait, quelques heures plus tard, sa femme, Bran a bien cru qu’il ne passerait pas à travers la journée. Il était nerveux. C’était sans doute ridicule, de penser qu’au dernier moment, peut-être, Aileen lui dirait qu’au final, elle ne pouvait pas faire le grand saut, qu’elle s’en sentait incapable, tout simplement pas prête ou que son cœur était ailleurs. Ça l’aurait détruit, mais l’histoire se déroula comme prévu. Elle répondit oui, non sans retenir quelques larmes, lorsque le prête lui demanda si elle voulait prendre Bran comme époux. Et son oui à lui, il était étouffé par l’émotion, le bonheur. Et d’un baiser, ils scellèrent leur union. Unis, pour le meilleur et pour le pire, jusqu’à ce que la mort les séparent.

Jamais il n'aurait cru un jour souffrir autant. La plus grande perte de sa vie. Son plus grand drame. S'il pouvait effacer vingt-quatre heures de sa vie, il choisirait sans un seul moment d'hésitation les vingt-quatre heures qui ont suivi l'annonce du décès d'Aileen. Bien avant qu'il ait ouvert la porte pour voir deux officiers de police se tenir debout devant lui, il savait. Elle aurait déjà du être à la maison. Ce n’était pas dans ses habitudes d’être en retard. Elle était toujours là pour le repas du soir. C’était immanquable. Ils mangeaient en famille. Mais pas ce soir. Non, un chauffard leur avait enlevé ce droit, ce privilège quelques heures plus tôt. Avec deux fois la limite permise d’alcool dans le sang, il avait perdu la maitrise de son véhicule et fauché la voiture dans laquelle se trouvait Aileen. En une fraction de seconde, Bran senti ses genoux flancher et il s’effondra. Il n’était pas du genre émotif, mais là, il ne pouvait le contrôler. C’était plus fort que lui. Et voilà que Casey s’était retrouvée à ses côtés, insouciante, inconsciente quant à ce qui lui arrivait. Elle venait de perdre sa mère. Bran venait de perdre son épouse. Il était désormais père célibataire. Veuf. Pour simple consolation, il n’eut que les bras de Casey qui s’enroulèrent autour de son cou. C’était peu, mais c’était tout ce qu’il avait à présent.

Si vous lui demandez quel fut le plus beau jour de sa vie, Bran n’hésitera pas une seule seconde et vous dira que c’est le jour ou sa fille est née. C’est cliché de la part d’un parent, c’est certain, mais c’est pourtant la vérité. Aileen a même déjà dit qu’elle ne l’avait jamais vu aussi heureux et amoureux. You never looked at me that way. qu’elle avait blagué ce jour-là. Il était en amour, Bran, complètement sous le charme de ce petit être humain qu’il tenait dans ses bras, ce petit humain qui était à la fois d’Aileen, à la fois de lui. Un parfait mélange d’eux deux. She's perfect. Il s’émerveillait devant elle, Casey, leur fille. C’est Aileen qui a choisi le prénom. En fait, ils n’ont pas voulu savoir le sexe du bébé avant sa naissance. C’est pour cette raison qu’ils ont choisi ce prénom, parce qu’ils voulaient d’un nom qui pourrait aussi bien être un prénom masculin que féminin. Et puis, ça sonne bien Casey Winslow. Ça coule sur la langue. Casey, elle est son plus bel accomplissement, ce dont il est le plus fier. Il a fait bien des choses dans sa vie. Évidemment, il est fier du pub qu’il tient. Pourtant, Casey reste sa priorité. Il se souvient encore du moment ou il l’a tenu dans ses bras pour la première fois. Ce petit bout d’être humain, fruit d’un amour plus fort que tout. Il avait peur, terriblement peur de l’échapper alors il la serrait tout contre lui, une promesse muette qu’il lui faisait, qu’il la protègerait toujours  du monde qui l’entourait. Il a même versé quelques larmes ce jour-là. Lui qui se donnait parfois des airs un peu macho, d’homme fort, il n’avait pas pu garder cette façade intacte. Seulement âgée de quelques minutes que déjà, elle le transformait. Et ce n’était que le début. Le meilleur restait à venir.

You look so much like your mother. Les mots quittèrent ses lèvres tandis que Bran regarda sa fille, endormie, blottie tout contre lui. Il replaça une mèche de ses cheveux derrière son oreille avec une douceur infinie qu’on ne lui soupçonnerait pas en le regardant gérer son pub d’une main de fer. Pourtant, avec Casey, certains disaient qu'il devenait mou et que toute la virilité qu'on aurait pu lui accorder au premier regard disparaissait.  Un sourire triste se dessina sur le visage de Bran. C’était douloureux de la regarder grandir, de la voir vieillir et ressembler un peu plus à chaque jour à Aileen. N’allez pas croire que l’amour qu’il lui portait s’était amoindri avec le temps, avec le décès de sa femme. Certes, il souffrait chaque fois qu’il posait son regard sur Casey, ne pouvant nier la ressemblance avec sa mère. Pourtant, à partir de ce moment plus que jamais auparavant, il se faisait un devoir de protéger cette petite princesse des choses horribles que le monde extérieur lui réservait. I hope you don’t miss her too much. Murmura-t-il en la berçant. Une larme roula sur sa joue, s’empressant de l’essuyer.  I know I do. Un soupire s’échappa d’entre ses lèvres et il détacha son regard de sur sa fille pour lever les yeux au ciel. Il n’avait jamais été très religieux, mais il se complaisait dans l’idée que sa femme était peut-être là, quelque part et qu’elle veillait sur eux, qu’elle les regardait évoluer sans elle. Il se trouvait ridicule par moment, de s’adresser à elle comme si elle pouvait l’entendre, mais il en avait besoin. Parce qu’il n’y arriverait pas seul. Il manquait terriblement de confiance en ses capacités à être père monoparental. Et pourtant, il n’avait pas le choix. C’était ce que la vie lui avait réservé comme sort et il n’avait pas d’autre choix. Il ne pouvait pas abandonner Casey comme ça, simplement parce qu’il avait peur. Il faut dire, il s’était quelque peu noyé dans le travail, les jours suivant l’annonce du décès d’Aileen, tentant d’oublier sa peine de cette façon, mais il avait rapidement compris qu’il ne pouvait pas être un père absent.

Vee. Qu’est-ce qu’il ferait sans elle? La question se pose bien. D’abord attitrée au poste de babysitter de Casey, avec le temps, elle s’est trouvée à être bien plus que ça. Elle est celle qui lui a redonné le sourire alors qu’il ne savait plus comment faire. Elle est un rayon de soleil qui lentement perce à travers les nuages gris qui emplissent la vie de Bran. Avec elle, il se sent revivre, lui qui ne faisait que survivre depuis le décès d’Aileen. Et il ne peut le nier, ça fait un bien fou de pouvoir respirer à nouveau, d’avoir quelqu’un à ses côtés. Peut-être que ça fait un peu trop de bien, parce qu’un soir, il s’est laissé emporté.  Il a dérapé et posé ses lèvres sur celles de Vee. Un baiser furtif, mais qui a amené une sorte de culpabilité. Il ne pouvait pas faire ça à Aileen. Pour lui, ce geste était similaire à l’adultère. Pour tout autre personne qui aurait pu voir ce geste, de l’extérieur, ça n’aurait sans doute été qu’un homme qui tourne la page, qui continue d’avancer suite à un drame, mais il s’en veut, Bran. Il n’est pas prêt. Alors, il a pris ses distances, espérant que ça arrange les choses, que ça l’aide à mettre de l’ordre dans sa vie, dans ses idées. Pourtant, ça semble avoir l’effet contraire. Plus le temps passe, plus il réalise qu’elle lui plait, Vee. Il a même déjà osé s’imaginer avec elle, imaginer une vie à deux à nouveau. Après tout, il la voit avec Casey. Il sait que sa fille l’adore et ça semble être réciproque. Alors peut-être qu’elle est la solution à ses maux, le baume qui peut apaiser leur douleur et aider tourner la page, commencer un nouveau chapitre de leur vie.